Autisme à tous âges : Quelles institutions ? Leurs places dans le médico-social aujourd’hui ?

Les actes des journées d’étude d’AsPi, Secondes Assises de la psychiatrie médicosociale, qui ont eu lieu du 23 au 25 Novembre 2009 à Lille, sont enfin sorties grâce à la revue éditée par l’Association Départementale de Santé Mentale Infantile du Gard (ADSMI)5. Le sujet qui était alors abordé, « Autismes à tous âges : Quelles institutions ? Leurs places dans le médico-social aujourd’hui ?», garde toute sa pertinence aujourd’hui, dans une actualité qui voit à la fois se confronter des idéologies antagonistes avec une force sous tendue par des haines tenaces qui n’ont pas tendance à s’apaiser, et dans le même temps, un grand nombre de personnes, en deçà des appareils, et fatigués de ces querelles délétères, s’accorder dans la pratique sur des prises en charge complémentaires et multiples, qui semblent donner raison aux propos tenus à Lille en 2009.

D’autant que dans sa conclusion, Roger SALBREUX remarquait que : « cette manifestation était consacrée aux « Syndromes autistiques à tous les âges de la vie », avec l’arrière-pensée de pouvoir échanger au sujet des pratiques utilisées pour les autistes devenus adultes et tout particulièrement à propos des institutions qui leur sont ouvertes, nous a comblés par l’excellence, la sérénité des propos tenus et par une préoccupation éthique constante, présente dans un grand nombre d’interventions. »

En effet, ces journées tentaient de réunir des acteurs des différents champs concernés pour justement dégager une synthèse en faveur des rapprochements nécessaires dans une question d’une telle complexité. Étaient présents aussi bien des représentants de parents, et Ghislaine MEILLIER a su nous montrer comment, à partir de l’histoire de son fils, elle a pu, avec d’autres, transformer sa souffrance pour en tirer des créations aussi utiles aux adultes autistes, qu'aux professionnels éducatifs, pédagogiques et médicaux. Et parmi ces différents professionnels, les points de vue étaient ouverts sur les possibilités des autres, sans retenues idéologisantes. Lorsque dans mes divers enseignements à la Faculté de médecine et ailleurs, je propose cette position :

« l’éducatif toujours, le pédagogique si possible et le thérapeutique si nécessaire », je plaide précisément pour que les pratiques et les réflexions des uns et des autres puissent s’enrichir mutuellement et non se disqualifier. Car, comme le souligne Roger SALBREUX, en l’état actuel de nos connaissances, il n’y a aucune raison de pavoiser, plutôt au contraire, une nécessité de rassembler les fragments des connaissances des uns et des autres pour tenter de construire, en fonction de l’état de la personne autiste qui est là devant moi, avec ses parents, la prise en charge la plus cohérente possible. Et c’est possible de le faire comme nous l’ont montré lors de ces journées quelques interventions, celles de Jean François COSTE de l’IME « Les Violettes » de Bagnols sur Cèze, de Bernadette GROSYEUX de Claye-Souilly, de Catherine LEROY, enseignante spécialisée à Lille ou d'Anne-Yvonne LENFANT, pédopsychiatre à Lille également.

Jacques CONSTANT nous avait montré depuis longtemps qu’il était utile par principe d’ouvrir nos esprits à ces expériences autres et, dans son intervention de Lille, il réitère de façon plus systématisée l’exposition de sa généreuse philosophie de travail. Nous avons également eu la chance d’entendre Louis VALLÉE, professeur de neuropédiatrie à la Faculté de médecine de Lille 2, nous faire part de son point de vue très intéressant sur les autismes, relativisant la part dite scientifique univoque qui est avancée par certains comme la seule à prendre en compte. Notre pratique de plus de dix ans de consultations communes au CHRU de Lille me permet d’ailleurs de confirmer que sa position est celle d’un médecin non seulement extrêmement rigoureux sur le plan neuroscientifique, mais également accueillant de façon humaine les personnes les plus en difficulté, et parmi elles, les enfants autistes et leurs parents que nous recevons conjointement. Cela me semble illustrer la nécessité que la médecine continue d’allier pour les intégrer, les aspects les plus récents des découvertes scientifiques avec les étayages humanisants de la relation intersubjective.

Mais si chacune des personnes présentes à ces journées a fait montre de qualités d’ouverture aux opinions des autres, dans un but de complémentarités, nuancées mais cohérentes, autour de la prise en charge à visage humain de chaque enfant, adolescent ou adulte autiste, le grand absent reste celui qui en facilite la réalisation…ou non, l’État et ses appareils. Il apparaît de plus en plus clairement que la façon dont les Politiques de droite et de gauche ont surfé et surfent encore sur la souffrance des parents des enfants autistes, est une des facettes modernes de la démagogie la plus cynique, visant à désigner un bouc émissaire, ici les psys de tous poils, pour éviter d’avoir à assumer la fonction de trouver les crédits nécessaires à une politique d’envergure pour un sujet aussi complexe. La mise en évidence des manques cruels de moyens pour prendre en charge les personnes, enfants et adultes, atteintes du syndrome autistique ne peut être réglée par des procès en sorcellerie comme les commentaires de l’ex ministre des handicapés, Madame CARLOTTI, à l’occasion de la sortie du troisième plan autisme, l’ont amplement montré. Nous étions en 2009 lorsque ces journées d’étude ont eu lieu, et nous étions un certain nombre à penser que les choses pouvaient s’arranger si nos tutelles apportaient une contribution positive dans le débat. La suite nous a montré que loin de satisfaire à une telle exigence éthique, les Politiques, manipulés par diverses instances agissantes, se sont précipités de façon incompréhensible dans la fuite de leurs responsabilités, accentuant les critiques vis-à-vis du service public de pédopsychiatrie notamment, ce qui donne des effets désastreux en retour sur les conditions dans lesquelles les personnes avec autisme sont effectivement prises en charge.

Si les recommandations de la HAS, parues en 2012, comportent quelques éléments indispensables pour une prise en charge ajustée des enfants et adolescents autistes, la désignation à la vindicte populaire de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle pour des raisons injustifiées, est inqualifiable. Sans compter l’interdiction formelle de la pratique du packing qui ne repose sur aucune donnée scientifique habituelle. La soumission de cette haute autorité de santé à l’avis, puis au lobbying intensif de quelques puissants communicants, a révolté de nombreux parents et professionnels qui y voyaient un moyen parmi d’autres de traiter les automutilations. En revanche, le troisième plan autisme, paru en 2013, disqualifiant gravement le service public de santé mentale infantile, et comptant sur la mobilisation des CAMSP et autres structures du médico-social pour le remplacer à moyens constants, plonge encore plus les acteurs concernés par les personnes autistes dans l’embarras et l’incompréhension devant tant de parti pris de la part de nos gouvernants. La poursuite d’une telle ligne ne peut qu’aboutir à une catastrophe annoncée.

La philosophie de travail énoncée lors des journées d’étude de Lille en 2009 va dans un sens exactement opposé en prônant une complémentarité raisonnée entre les forces en présence, animée par le seul souci de l’efficacité, et ce, sous l’égide des parents. Cinq années ont passé, mais dans la pratique quotidienne, cette position nous semble la seule raisonnable à tenir, car elle fait la démonstration de ses effets sur la transformation de la réalité des enfants, des adolescents et des adultes autistes d’aujourd’hui. Il nous faut rassembler autour de ces idées de base la majorité des acteurs concernés, des autistes et de leurs familles, afin de construire une vraie politique d’inclusion dans la vie de la Cité. Lire, relire et faire lire ces actes est une façon de participer à cet objectif de rassemblement fonctionnel aujourd’hui.


La suite disponible dans le pdf: Bulletin-2emes_Assises-2009